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Cet article est la conclusion des articles relatifs à l'Open Data appliqué aux décisions de justice, à l'aune de la notation des Avocats et des algorithmes :
Nous rappelons que la problématique n’est pas relative intrinsèquement à l’Open Data et l’ « Intelligence artificielle », mais plutôt au contrôle des personnes ayant le contrôle de ces éléments.
A cet égard, nous plaidons pour le développement d’outils innovants, centrés sur la protection des données et permettant d’annihiler toute tentative de modélisation des décisions de justice ou de traçage des acteurs (que ce soit les justiciables, les Magistrats ou les Avocats).
Par ailleurs, nous invitons nos instances réellement se préoccuper de ces problématiques, en créant nos propres outils, afin de rester maître de la technologie.
C’est dans un premier temps au pouvoir réglementaire, par l’intermédiaire du décret à paraître, d’encadrer les éléments qui font l’objet de vifs débats.
A cet égard, la problématique de la pseudonymisation et de la transmission des décisions de justice devra faire l’objet d’une règlementation globale et précise.
Il convient en effet de rappeler qu’aucun retour en arrière en la matière ne sera possible.
Une fois les données publiées, il sera quasi-impossible de les modifier a posteriori.
Le principe de pseudonymisation est simple.
Toutefois, la mise en pratique de ce principe reste soumise à de très grande difficulté.
En effet, de nombreuses questions devront trouver réponses.
Il est en pratique impossible pour les Greffes de pseudonymiser l’ensemble des décisions en l’état, sauf à mobiliser d’importantes ressources.
Par ailleurs, les services de Greffe passeraient un temps précieux à anonymiser des décisions de justice, pour le compte et au bénéfice de plateformes privées (qui ne manqueront pas de monétiser ces données…).
Nos juridictions travailleront donc directement à enrichir des acteurs privés, sans aucun retour.
Cette situation n’est pas acceptable en l’état.
Dans ce cadre, les acteurs du domaine se proposent de prendre en charge la pseudonymisation des décisions.
Or, cela reviendrait à communiquer des informations confidentielles à des tiers, sans l’autorisation des personnes concernées. Que faire alors du droit d’opposition des justiciables ?
Qu’adviendra-t-il en cas de piratage ou de faille de sécurité des acteurs sensés pseudonymiser les données ?
Qui sera responsable en cas d’erreur ou d’oubli à l’occasion de l’occultation d’une décision ?
Quels seraient les recours possibles pour les justiciables ayant vu leurs données publiées ?
Ces problématiques font que la CNIL et l’ANSSI devront être intégrées aux discussions à venir, afin, d’une part, de faire appliquer les principes de sécurité de données au sein des tribunaux, et d’autre part afin de créer des lignes directrices claires à destination des acteurs du secteur.
L’encadrement, ou la labellisation selon des critères strictes, des acteurs de l’Open Data sera un enjeu majeur.
En effet, à ce jour, les Legaltechs privées (comparateurs, rédaction automatique de documents, etc.) ne sont pas soumises aux règles déontologiques de la profession d’Avocat, ce qui leur permet une certaine liberté.
A cet égard, il conviendrait à notre sens de créer une véritable régulation des acteurs du domaine, afin de les soumettre à une déontologie spécifique et contraignante.
Pour nous autres, Avocats, l’enjeu majeur sera de développer des outils qui nous seront propres.
N’oublions pas que les acteurs ayant le plus de chances de survivre aux mutations de leur environnement ne sont ni les acteurs les plus forts, ni ceux ayant le plus de ressources, ni encore ceux réalisant le meilleur lobbying, mais bien les acteurs qui réussissent le mieux à s’adapter à leur environnement.
Dans ce cadre, l’adaptation de nos pratiques et de notre déontologie aux nouveaux usages ainsi qu’aux mutations technologiques doit être l’un des enjeux majeurs des années à venir pour nos instances.
Comment notre profession, aussi belle et ancienne soit-elle, a-t-elle pu en aussi peu de temps renier certains de ses principes cardinaux ?
Comment en sommes-nous arrivés à déléguer la gestion de notre image, de notre prospection et de notre relation avec notre clientèle à des plateformes ?
Comment acceptons-nous d’être notés ou évalués par des entreprises tierces, qui ne sont pas soumises à nos principes, et de les payer pour cela ?
Notre profession, à l’exception de certains confrères ayant senti les opportunités mais aussi les risques de telles mutations, est pour le moment passée à côté de ces enjeux.
Il y a bien eu quelques tentatives, maladroites, de défense de nos intérêts mais qui se sont soldées par des échecs (décision Jurisystem, communications inaudibles, rachat d’une plateforme aujourd’hui en déshérence…).
Ces échecs portent un coup particulièrement important à notre profession.
En effet, l’image qui est bien trop souvent donnée par notre profession reste celle de professionnels souhaitant conserver leur pré carré et leurs prétendus avantages, au détriment de l’évolution et du progrès…
A notre sens, ces évolutions constituent cependant un énorme potentiel, à condition que ce soient les Avocats eux-mêmes qui s’en saisissent.
Comment expliquer que notre profession, qui compte à ce jour plus de 55.000 membres et possède des ressources particulièrement importantes (jeunesse de la profession, étendue du périmètre de nos missions, réserves, etc.) ne trouve pas les moyens de créer une ou plusieurs plateforme(s) de référence ?
C’est aux Avocats eux-mêmes de s’approprier cette technologie ! (et certains le font déjà !)
En effet, l’innovation et la technologie ne peuvent continuer à être déléguées à des plateformes qui ne respectent pas, pour nombre d’entre elles :
N’oublions pas qu’en cas de violation de données d’une de ces plateformes, ce seront les Avocats référencés, en premier lieu, qui resteront responsables des conséquences tant en termes d’image que de protection des données.
La création d’une véritable plateforme interne (autre que celle actuellement en place et qui semble en déshérence…) permettrait en outre d’abaisser les frais liés à un certain nombre d’actes.
En effet, il ne faut pas oublier que la mise en relation par l’intermédiaire de plateformes est payante, certains acteurs refacturant à l’Avocat plus de 50% des honoraires perçus, au titre des frais de référencement.
D’un côté, les honoraires sont donc élevés. D’un autre côté, l’Avocat ne touche même pas la moitié de ce qu’il facture…
Le retour d’un circuit court et direct entre l’Avocat et son client permettrait ainsi d’abaisser les honoraires, tout en améliorant la rétribution allouée à l’Avocat.
Pour cela, la technologie devra être maîtrisée en amont par notre profession.
Ainsi, la création d’un référentiel spécifique en matière de stockage de données, sur le modèle des référentiels appliqués aux serveurs « données de santé », devra impérativement être mis en place.
Que les utilisateurs des plateformes actuelles (qu’ils soient clients ou avocats) se posent cette question :
« Que fait la plateforme des données que je lui confie ? »
L’Avocat, du fait du secret professionnel notamment, doit apporter un soin particulier aux données qui lui sont confiées par ses clients.
La gestion des données est en effet un enjeu majeur du développement des technologies, et en premier lieu des algorithmes.
En outre, l’intégralité de la relation entre un client et son avocat (que ce soit en matière de contentieux ou de conseil) doit rester intégralement secrète et confidentielle.
Comment dès lors accepter que les plateformes aient accès à l’intégralité des échanges entre le client et son Avocat (l’avocat étant incité à utiliser le logiciel de messagerie de la plateforme) ?
Il convient de ne pas oublier que c’est le secret qui permet notamment la confiance, le client sait qu’en confiant telle ou telle information à son Avocat, cette dernière restera confidentielle.
Dans l’hypothèse d’une délégation du stockage des données, la confiance n’est plus donnée à l’Avocat, mais à la plateforme d’intermédiation qui occupera donc une place bien plus importante que le professionnel lui-même dans le cadre de la relation avocat/client.
Enfin, il faut rappeler que l’obligation pour l’Avocat d’échanger avec son client par l’intermédiaire de la plateforme est, pour la plateforme en question, un moyen de :
L’ensemble de ces données constitue un véritable trésor pour les plateformes, qu’elles sont capables de créer gratuitement, voir même en se faisant rémunérer par les Avocats eux-mêmes.
L’évolution de nos métiers passera par la maîtrise de la technologie, nous en avons les moyens humains et financiers.
N’oublions pas que la jurisprudence reste aussi notre œuvre. C’est grâce aux Avocats, et leur travail, que la jurisprudence évolue.
Le meilleur moyen de lutter contre « l’ubérisation » reste de contrôler les données, qui sont issues de notre travail.
Ne soyons pas à la place de ceux qui travaillent et fournissent gratuitement leurs données pour l’amélioration d’un algorithme visant à les remplacer.
Notre travail, nos convictions, nos combats et les situations particulières des clients que nous accompagnons au quotidien, ne peuvent être simplement compilés, triés, analysés et automatisés…
Nous demandons l’anonymat et l’interdiction du traçage de nos actions et de celles de nos clients, afin de conserver la liberté qui est la nôtre, et qui reste l’un des piliers de notre démocratie.